Pourquoi un registre paroissial a-t-il été mutilé ou l'étude des "marques des recettes générales" ??

Publié le par GénéaBlog86

Dans le registre paroissial de Charroux en 1718, le curé a indiqué la mention suivante :

« Si les feuillets de ce registre sont couppés au haut la cause en est que aiant trouvé le registre tout relié et prest à servir mais marqué d'une empreinte qui n'était plus d'usage posée au milieu des feuillets en haut n'ay voulu oter la ditte marque et faire servir le registre étant la chose fort permise alors c'est ce que j'atteste et certifie à Charroux le quinzième octobre 1718, François Dalouhe curé de Charroux ».

(Vue AD86 Charroux BMS 1711-1727, p. 93/227)

Effectivement, ce registre est grossièrement découpé dans le haut des pages. Quelle est donc cette marque que monsieur le curé a bien voulu faire disparaître ?

J'ai donc regardé dans la grande paroisse voisine de Civray, ce qui se faisait à la même époque. Il apparaît régulièrement des tamponnements à l'encre en haut des pages, portant l'indication « Généralité de Poitiers » ainsi qu'une somme en sols et deniers.

N'ayant pas trouvé d'étude en la matière et d'appellation pour ces marques, je les nomme « Marques des Recettes Générales » (MRG). La généralité de Poitiers est l'une des 17 recettes générales créées en 1542, par Henri II. Ces marques indiquent le coût d'un feuillet du registre. C'est en quelque sorte une taxe royale sur les registres paroissiaux.

Cela peut expliquer que dans certaines paroisses, le prêtre cherchait parfois à mettre le plus d'actes possibles sur une page, les rendant presque illisibles et que les actes concernant les familles aisées étaient plus aérés, car vraisemblablement en mesure de régler cette taxe.

J'ai donc procédé à une étude comparative par rapport à la paroisse de Civray. Partant du principe que la marque antérieure à 1718 n'était plus d'actualité, j'ai cherché à identifier celle qui l'était auparavant. La marque en question est « la seconde version du soleil » (J1) (cf annexe des marques « in fine ») d'un coût de 1 sols et 4 deniers, apposée de 1713 à 1715. Le soleil et 1715 sont indubitablement en lien avec le Roi de France, Louis XIV qui meurt à presque 77 ans le 01/09/1715, après 72 ans de règne. A sa mort, cette marque est changée par « une fleur de lys décorée » (K1), d'un coût identique, de 1716 à 1717. En 1718, une nouvelle marque (L1) apparaît pour le même coût.

Monsieur le curé de Charroux emploie la MRG de « la première version du soleil » (G2), valable à Civray de 1698 à 1703, d'un coût de 2 sols, impliquant un certain retard qui me semble calculé et qui présente l'avantage pour le prêtre de rapporter plus qu'il ne faudrait. D'autant plus qu'il continue de l'utiliser après la mort du Roi en 1716 et 1717, comme il utilisait déjà la marque (H1) de 2 sols en 1714. Il finit par rédiger son commentaire improbable, comme pour se justifier et à barrer quelques unes des dernières marques.

Cette justification est d'autant plus improbable que le soit disant retrait de la marque, pour pouvoir se servir du présent registre, a été réalisé après son usage et pas avant comme il l'indique. Cela est bien visible sur plusieurs pages où des mots sont manquants ou partiels car partis avec le papier découpé. De plus, il n'est constaté la présence d'aucune autre marque.

(Vue AD86 Charroux BMS 1711-1727, p. 116/227)

Poursuite de l'étude des registres de Charroux :

En 1721, il cesse son découpage et applique une nouvelle fois la marque (H3) de 2 sols, comme il a toujours appliqué ce tarif, depuis au moins 1714, alors que la taxe était toujours à 1 sols et 4 deniers, depuis 1713.

En 1723, le découpage recommence et laisse même apparaître le bas de la marque (H ?), tout comme en 1724.

(Vue AD86 BMS 1711-1727, p. 156/227)

Le découpage cesse à nouveau au cours de l'année 1724 et jusqu'en 1727 aucune marque n'est visible. Sur le registre de 1726 à 1733 couvrant une partie de la précédente période, apparaissent en août 1726 deux marques (M2) et (L2) aux tarifs de deux sols, idem en 1727. Cela montre qu'il existe donc plusieurs tarifs pour une même marque et redonne du crédit à monsieur le curé François Dalouhe.

(Vue AD86 Charroux BMS 1726-1733, p. 2/98)

En 1728 est visible la marque (I2) en version 2 sols, idem 1729 à 1731.

(Vue AD86 Charroux BMS 1726-1733, p. 14/98)

En 1732, le prêtre « sort le grand jeu », à l'occasion du baptême de « Thomas Ismael, un jeune homme nègre âgé d'environ trente ans », ayant attiré « une foule de peuple », il indique trois marques différentes de deux sols (M2) (L2) (I2), soit un probable feuillet à 6 sols, idem en 1733 pour des actes plus habituels. Pourquoi a-t-il placé trois marques différentes alors qu'il aurait pu y apposer trois fois la dernière ? Serait-ce pour justifier le coût des 6 sols ?

(Vue AD86 Charroux BMS 1726-1733, p. 69/98)

En 1734, seule la marque (I2) en 2 sols est mentionnée, idem de 1735 à 1738.

En 1739, le registre semble retrouver une étonnante conformité avec la marque et le tarif employés à Civray (N1) et pour cause, c'est Antoine Penigot de Grandchamps, conseiller en la sénéchaussée de Poitou et siège présidial de Poitiers qui ouvre ce registre. François Dalouhe est toujours curé de Charroux.

En 1741, après le visa du lieutenant criminel du siège royal de Civray, qui n'est pas nommé et ne signe pas, la même marque passe à 2 sols (N2), idem 1742 à 1744 sans visa d'autorité.

En 1745, la marque est conforme mais en 2 sols (O2), idem 1746 et 1747.

En 1748, c'est Pierre Jacques Bourdier lieutenant général criminel du comté sénéchaussée et siège royal de Civray qui ouvre le registre et signe pour 18 feuillets. La dernière marque apparaît dans les feuillets suivants. C'est ce même Bourdier qui ouvre le registre de 1749 pour 22 feuillets.

En 1750, Bourdier ouvre le registre pour 20 feuillets, idem en 1751 ou la même marque passe à 2 sols et 8 deniers (O3). En 1753, la nouvelle marque (P1) au même tarif est concordante avec celle observée à Civray.

Le curé François Dalouhe signe son dernier acte le 22/07/1754. Il est remplacé par Vignaud qui le secondait depuis trois ans. Néanmoins, Dalouhe est indiqué avoir baptisé une enfant le 28/12/1754, mais qu'en raison de l'infirmité de ce curé, l'acte n'a pas été rédigé.

En 1757, la nouvelle marque (Q2) affiche 3 sols. C'est Henry Guerry qui est en charge de la dite paroisse.

Comparaison avec la paroisse de Savigné :

La paroisse de Savigné est située entre celles de Civray et de Charroux. C'est pourquoi nous procédons à son observation, sur la période de 1709 à 1727. Les coûts des marques sont comparables à ceux pratiqués à Civray et le cumule des marques n'y est pas pratiqué non plus.

Comparaison avec la paroisse de Mauprévoir :

La paroisse de Mauprévoir est voisine de celle de Charroux et située à l'Est de cette dernière, bien plus éloignée de Civray. En 1710, la marque (H1) présente une valeur de 16 deniers, idem 1711 et 1712. En 1713, la même marque passe à 1 sol et 4 deniers (H2), concordant avec Civray par le tarif mais pas par la marque, idem en 1714. La même marque repasse à 16 deniers (H1) en 1715. En 1716, apparaît la marque (K1) en 1 sols et 4 deniers, comme à Civray. En 1717, c'est l'ancienne marque (H1) à 16 deniers qui revient, idem en 1718. En 1719, c'est la même (H2) qu'en 1713 qui est apposée à 1 sols et 4 deniers. En 1721, c'est la marque (G1) obsolète du soleil de 1698-1703, en 1 sols et 4 deniers qui est utilisée. Le tarif est toujours concordant avec Civray. En 1722, c'est l'ancienne marque (F1) qui est indiquée pour la même valeur.

Conclusion partielle :

Nous constatons qu'il existe plusieurs valeurs pour une même marque. Il est probable que les anciennes marques étaient réutilisées, faute de posséder la dernière. Les paroisses de Savigné et Mauprévoir présentent des tarifs concordants avec ceux pratiqués à Civray. Aucune de ces trois paroisses n'utilise le cumule de MRG, contrairement à Charroux.

La paroisse de Charroux bénéficiait-elle d'un régime particulier ?

La paroisse de Saint-Sulpice de Charroux abritait la célèbre abbaye de l'ordre de Saint-Benoît, fondée en 786, par Charlemagne et Roger, comte de Limoges. Il est dit que l'église Saint-Sauveur détruite qui s'y trouvait était plus vaste que la cathédrale Notre-Dame de Poitiers et pouvait accueillir plus de 10 000 personnes. Elle mesurait 121 mètres de longueur, alors que la cathédrale n'en fait que 96 (Charroux et sa région, Jacques Pineau, 1978, p. 11 et 18). Cette abbaye attirait de nombreux croyants en pèlerinage, jusqu'au XIVe siècle. Elle est désacralisée en 1780.

Comparaison avec la paroisse de Nouaillé-Maupertuis :

Je me suis intéressé à une autre abbaye proche, celle de Nouaillé-Maupertuis, près de Poitiers.

En 1710, le registre arbore la marque (H1) à seize deniers, idem 1711 et 1712. En 1713, un feuillet porte les deux marques (H2) et (J1) à 1 sols et 4 deniers. En 1714, il n'y a plus que l'unique marque (J1), idem 1715. En 1716, la nouvelle marque (K1) de 1 sols et 4 deniers apparaît. En septembre 1716, un feuillet cumule (J1) obsolète et (K1), puis uniquement (K1) en 1717. En 1718, c'est la marque (L1) qui trône en haut du feuillet, idem jusqu'à 1723. En 1724, c'est la nouvelle marque (M1) qui est aussi d'actualité à Civray, idem en 1725 et la marque (L1) refait une apparition la dite année comme en 1726.

Il est constaté que cette paroisse abritant une abbaye, malgré les deux cumules de marques observés, pratique des tarifs comparables à ceux de Civray, à la même période.

Petit rappel monétaire :

1 livre = 20 sols et 1 sols = 12 deniers

Le feuillet à Charroux vaut généralement 2 sols de 1714 à 1748, alors qu'il est ailleurs de 1 sols et 4 deniers. Cela signifie que chaque feuillet présentait un trop perçu de 8 deniers, qui devait servir à autre chose, en raison de la suppression improvisée des marques, après la rédaction des actes.

Qui était François Dalouhe ?

Seul son acte de décès laisse supposer qu'il est né vers 1675.

« Le 2 d'aoust 1755 a eté inhumé le corps de messire François d'Alouhe prestre et curé de Charroux aagé de quatre vingt ans en presence de monsieur Blazais curé d'Aloux son cousin de monsieur l'archiprestre de Gençay et curé de Savigné, de monsieur le curé de Chapelle Bâton, de monsieur le curé de Benest, de monsieur l'évêque vicaire d'Anois et de plusieurs autres vénérables personnes qui ont déclarés ne savoir signer hors les soussignés. Vignaud. »

(Vue Charroux AD86 BMS 1748-1757, p. 103/132)

Conclusion finale :

Il apparaît qu'il y a eu certaines irrégularités en la paroisse de Charroux qui ne sont pas retrouvées dans une telle mesure, au cours de la présente étude, notamment en matière de tarifications des recettes qui semblent nettement supérieures à ce qui se pratiquait ailleurs.

Il est possible que le curé Dalouhe ait commis ce que l'on appellerait aujourd'hui l'infraction de concussion qui consiste pour la personne chargée d'une mission, qu'elle reçoive, exige ou ordonne de percevoir une somme qui n'est pas due. Il faut espérer qu'il n'ait pas agit par péché d'avarice et que l'argent ait réellement servi aux recettes de la généralité ou aux bonnes œuvres locales.

 

Annexe des marques de la généralité de Poitiers, basé sur celles découvertes à Civray.

Les marques sont codifiées dans l'ordre de leur apparition par une lettre dans l'ordre alphabétique et par un chiffre dans l'ordre croissant des valeurs.

Notons que les marques indiquées à 16 deniers sont équivalentes en valeur à celles d'un sols et 4 deniers.

Cet état des « MRG » sorties des registres paroissiaux pourrait permettre de dater approximativement un document, où elles apparaîtraient sans date, notamment dans des actes notariés comme je l'ai déjà rencontrés.

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