La violente agression d'une bergère au XVIIe siècle.

Publié le par GénéaBlog86

Au cours d'une de mes visites aux archives départementales de la Vienne, mes recherches m'ont amené à découvrir un fait divers quelque peu détaillé, dans les archives de la sénéchaussée de Montmorillon (AD86 - 7 B 57). Je me permets donc de partager avec vous cette histoire mis en forme par moi même, selon les éléments du dossier.

Le mercredi sept juillet 1683, le jour s'apprête à se lever sur le hameau de Corneroux, situé à l'Est du bourg de Saulgé, au Sud de Montmorillon. Il est six heures et le chant du merle posé sur le rebord de sa fenêtre, sort de son sommeil la jeune Michelle Bruslé. Michelle à bientôt quinze ans. Elle est l'aînée d'une fratrie de cinq enfants. Sa position au sein du foyer, lui impose d'aider ses parents dans les taches de la maison et dans leur emploi de métayers. Elle se vêtit d'une paire de bas en laine, d'un jupon, d'une chemise de chanvre, puis passe une jupe en serge couverte d'un tablier et d'un corsage piqué en tirelaine (étoffe de laine et de lin). Jeanne sa mère est assise dans un recoin de la pièce commune de la petite chaumière, dans laquelle vit l'ensemble de la famille. Elle donne le sein à Pierre, le benjamin de la fratrie, né en octobre dernier et baptisé à Saulgé. Silvain, Anne et Renée les autres frère et sœurs sont déjà levés et mastiquent tous un morceau de pain de froment. Pierre leur père est déjà dehors et s'occupe des volailles et des bestiaux. Michelle passe sa coiffe comme toute jeune fille respectable et chausse ses sabots avant de sortir pour aider son paternel.

Les volailles, les cochons, la vache et le veau soignés, l'Angélus sonne déjà au loin dans le bourg de Saulgé, indiquant à Michelle qu'il est déjà sept heures et qu'il est temps qu'elle s'occupe des moutons. Pierre atèle les bœufs avant de partir pour les champs. Il est rapidement rejoint par Silvain qui a bientôt dix ans et s'intéresse au labeur de son père. Dans un même temps, Michelle sort les moutons de la bergerie et se dirige vers les prés, situés à l'Est. Elle s'installe sur une hauteur au pied d'un grand chêne pour guetter ses « ouailles ». Pendant qu'ils se régalent de l'herbe encore fraîche de ce matin d'été, elle en profite pour effectuer de menus travaux de couture qu'elle a emmené dans sa besace.

Il n'est pas encore huit heures qu'un homme à cheval arrive d'un côté du pré. Il fait de grands gestes en direction de Michelle. Celle-ci ne saisit pas ce qu'il cherche à lui faire comprendre. Il s'approche et l'invective, en lui disant de quitter les lieux avec ses animaux. Michelle voyant que son troupeau ne commet aucune dégradation en l'absence de culture dans la dite parcelle, fait mine de ne pas entendre l'individu. Devant une telle défiance de la jeune bergère, l'homme descend de cheval et commence à lui jeter des pierres. Elle esquive les projectiles et l'homme s'approche d'elle. Il finit par la saisir et par la rouer de coups de poings et de pieds, tout en blasphémant de nombreuses fois le Saint Nom de Dieu. Alertés par les cris de l'adolescente, les témoins s'empressent de lui porter secours. L'agresseur remonte rapidement sur sa cavale et prend la fuite.

« Avant l'orage » par Alfred Plauzeau (1875-1918), illustre bien le travail de la bergère avant l'arrivée violente (Musée de la médiathèque à Montmorillon).

La justice est vite avisée de cette agression par une plainte déposée auprès d'un avocat, à l'encontre de René Masson, métayer du sieur de Biard, reconnu dans sa fuite. Le juge demande une information, c'est à dire une enquête. Il est notamment demandé aux enquêteurs d'entendre les différents témoins : Jean Gaultier sieur de Bernon, Renée Thabutteau 15 ans fille de feu Mathurin, ainsi que Françoise Maquinon femme de Louis Brethet laboureur. Dans son rapport, le chirurgien réquisitionné afin d'établir les blessures de la victime, mentionne les nombreuses traces d'hématomes, sur les jambes de la bergère, de la grosseur de plusieurs types de monnaies, laissant présumer selon lui à des coups donnés à l'aide du bout d'un bâton ou de la pointe des sabots.

A l'issue de l'enquête, le mis en cause dans son acte d'accusation est nominativement convoqué de venir répondre des actes qui lui sont reprochés, à savoir l'agression de la bergère. Outre les blessures qui ne sont pas détaillées dans cette convocation, étonnamment ce sont surtout les propos blasphématoires répétés du saint nom de Dieu, pendant les violences qui semblent particulièrement motiver la justice.

Et pour cause, le blasphème était considéré comme une infraction criminelle sous l'Ancien Régime qui pouvait être lourdement condamnable, comme la sentence prononcée à la même époque « contre Simon Bailly, dit bataille, le 20 juin 1684, pour réparation des jurements et blasphèmes du saint Nom de Dieu et autres cas mentionnés au procès et condamné à faire amende honorable au devant de la principale porte de l'église Notre-Dame, nu, en chemise, la corde au col, tenant en ses mains une torche ardente du poids de deux livres et là, étant à genoux, dire et déclarer que méchamment et scandaleusement il a juré et blasphémé le saint Nom de Dieu et en demande pardon à Dieu, au Roy et à justice, ayant un escriteau devant et derrière portant ces mots « blasphémateur du saint Nom de Dieu ». Ce fait, avoir la langue coupée en place publique du dit lieu et mené et conduit aux galères dudit Seigneur roi pour y servir comme forçat à perpétuité. Déclare tous ses biens acquis et confisqués au roi sur iceux et entrés non sujets à confiscation préalablement pris la somme de trois cents livres d'amende ».

Dans la liasse, il n'est pas fait mention d'une quelconque condamnation, s'agissant uniquement de l'enquête, mais chose étrange et inquiétante pour le devenu de l'intéressé, il n'apparaît pas par la suite, dans les registres paroissiaux locaux. Rien n'indique non plus les réelles intentions de l'agresseur.

Notons que je descends ou cousine avec presque la totalité des témoins cités, dans la présente enquête.

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